• Je viens de faire un compte-rendu plutôt élogieux du texte de Patrick Bloche, Marc Gauchet et Emmanuel Pierrat sur la politique culturelle (La culture quand même ! ed. Mille et une nuits).

    Ce livre n'est pas pour autant exempt de reproches. Et le principal est sans doute l'usage continu de la brosse à reluire pour toute figure socialiste contemporaine ayant touché à la chose culturelle (le grand Jack bien sûr, mais aussi Catherine Tasca, Laure Adler, Jean-Paul Huchon, Bertrand Delanoë, etc.)

    Pourtant, à la différence de quelques commentateurs à l'époque de la sortie du livre, je pense que ça sert plutôt le livre. D'abord, force est de constater que ce sont bien des socialistes aux affaires (nationales, régionales, locales) qu'est venu toute ambition culturelle ces trente dernières années. Il y a quelques jours le candidat Sarkozy a paradé devant les caméras avec Maurice Druont avant de dire tout le bien qu'il pensait de l'action culturelle publique et de sa nécessité (en ne remplaçant pas un fonctionnaire sur deux par exemple, dans une administration très peu nombreuse et qui ne rechigne pas aux heures sup, ça risque fort de rester lettre morte, sans parler de la vision rétrograde qu'il a manifesté à l'égard des nouvelles technologies de l'information ou de la création contemporaine). Revenons à Maurice Druont. On a oublié qu'il fut ministre de la Culture (sous Pompidou ?... à vérifier). Son bilan est simple : avoir serré la vis côté budget (quand on pense que la Culture ne bénéficiat alors que de 0,50 % du budget, c'est vraiment de ce côté-là en effet qu'il y avait lieu de faire des économies), avoir traité les acteurs de la culture en marginaux parasites (ce qui a donné lieu à une manifestation monstre à Paris, scénographiée par Ariane Mnouchkine et représentant l'enterrement de la Culture), et d'avoir tout fait pour enterrer le projet Beaubourg. Bref, on lui doit beaucoup en matière de rayonnement culturel (motif pour lequel il reste pourtant très attaché).

    Alors on peut faire beaucoup de reproches aux socialistes sans doute, et leur action culturelle aurait certainement pu être meilleure, mais ils ont l'avantage d'y avoir cru et de l'avoir développé. Les années mitterrand sont souvent décriées pour une politique culturelle de prestige (grands travaux coûteux, etc.). Mais si on s'imagine que l'ensemble des grands travaux des deux septennats (Grand Louvre, Grande arche, Bibliothèque de France, Opéra Bastille, etc.) a coûté dans leur ensemble autant que le porte-avion Charles de Gaulle, je ne suis pas sûr que le retour sur investissement soit favorable aux promoteurs du gros bateau qui devrait si NS est élu avoir un petit frère.

    Enfin, côté "c'est un livre partisan, il n'est pas valable", cher aux cadres de l'administration culturelle, on peut penser au contraire que c'est parce qu'il s'agit d'un programme de gouvernement et pas seulement une analyse intellectuelle, ce livre est intéressant.

    Maintenant, il date de 2002 et je n'ai malheureusement pas entendu la candidate socialiste proner un tel chamboulement de l'action culturelle publique.


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  • Photo :  immeuble des bons-enfants, extension du Ministère de la Culture (architecte F. Soler). Comment ne pas y voir l'image d'une forteresse isolée du pays réel ?

     

    Lu un livre déjà un peu vieux (2002), mais toujours d'actualité : La culture quand même ! Pour une politique culturelle contemporaine, qui est une conversation à trois entre Patrick Bloche (fringuant député de Paris qui fut entre autres administrateur de théâtre), Marc Gauchée (directeur des affaires culturelles d'une commune francilienne) et Emmanuel Pierrat (éditeur et avocat people du droit intellectuel).

     

    C'est un récit simple sur la politique culturelle telle qu'elle se fait et telle qu'ils voudraient qu'elle se fasse. C'est un petit livre très digeste qui s'adresse pour une fois aux citoyens (plutôt aux électeurs, on va le voir) et non à l'intelligentsia parisienne qui tient lieu de public culturel officiel ou à l'establishment politico-administratif qui fait chez nous office de ministère de la Culture.

     

    Quelques passages pour vous donner une idée du ton et de l'esprit et quelques infos pour ceux que l'action culturelle publique intéresse sans trop y toucher :

     

    « A continuer ainsi, la France pourrait bientôt être le pays de la culture par seule réputation, comme on garde précieusement de vieilles photos de famille, par souci de la transmission, par une sorte de traité implicite avec l'Histoire, mais sans croire vraiment que cela puisse être déterminant pour l'avenir. C'est pour faire joli, pour décorer, parce que, on a beau être libéral, on n'en est pas moins français. Il ne faut pas déroger à l'image de la France, mère des Arts, mais en fait, tout cela n'a plus aucune réelle importance. Tout le monde s'en fout un peu.

    Comment, avec nos concitoyens, ne pas être indifférent à une politique culturelle qui ne fait irruption dans l'actualité qu'à l'occasion de quelques affaires absconses, de conflits ésotériques et déconnectés de nos centres d'intérêts ? (...) Et la plus grande partie du public, indifférent à ce qui est pourtant censé le concerner, continue de regarder la télévision et les charmants animateurs qui leur racontent la vie des stars. »

     

    Jusque-là, le constat n'est pas nouveau – même si le style est joli. Mais ce bouquin touche à des choses originales :

     

    1/ D'abord il parle beaucoup des bibliothèques et des politiques du livre et de la lecture, dont les ambitions ont été abandonnées malgré l'élan donné à partir de 1981 par Lang et son directeur du livre, resté sans vrai descendance, Jean Gattégno. Je ferai prochainement un petit billet sur Gattégno et sa politique parce qu'elle mérite d'être connue et réhabilitée (c'est à peu près la seule politique culturelle qui a donné de vrais résultats en terme de démocratisation). Le problème du livre, c'est que les médias et les cadres culturels du ministère, ont tendance à penser que c'est un support en voie de disparition, désaffecté par les jeunes générations. Si ce cliché a la vie dure, dans les faits les nouvelles générations lisent au moins autant qu'avant (certes ils ne lisent pas massivement Dumas et la comtesse de Ségur). Pour les bibliothèques, le principal souci, alors que les 3 auteurs remarquent qu'il s'agit des seuls équipements publics qui touchent territorialement et socialement l'ensemble des Français, les seuls équipements qui répondent vraiment à un service public de la culture (liberté des usages, gratuité ou presque, diversité de l'offre de collections et de services), mais pour un ministre, ça n'est pas médiatique, à moins de monopoliser des budgets qui manquent sur le terrain, pour des grands projets très coûteux qui en terme de retour sur investissement sont somme toute limité : les dirigeants de la BNF font-ils vraiment le meilleur usage de leurs 150 millions de budget annuel (hors personnel !) ? La déclaration de guerre de Chirac-Jeanneney à Google a-t-il à un moment ou un autre pris en compte les besoins réels des Français en terme d'information, de documentation ou de littérature ?

     

    2/ Autre point très positif de ce livre-programme, auquel j'ai déjà consacré quelques billets : une politique culturelle des nouvelles technologies. « Comment peut-on encore vouer a priori, comme on l'entend parfois, la télévision, l'internet, les CD-Roms et les DVD aux gémonies sous le prétexte d'un décervelage organisé. La chance que ces supports et ces techniques représentent pour l'accès à la culture est formidable. C'est leur économie, conçue sur des bases toujours plus libérales, qui doit nous inquiéter et sur laquelle nous devons agir. Il faut alors avoir les capacités de l'imagination pour résister. »

     

    3/ Sur l'accès à la culture ils rejettent les pleureuses de l'échec de la démocratisation (et rien que pour ça, ça en fait déjà un texte à part sur la politique culturelle française). Ils montrent que la question des tarifs (gratuité pour certaines catégories ou certains jours), des événements (journées du patrimoine, lire en fête, etc.), de la communication (faire venir au théâtre ou au musée à coup de slogans publicitaires), trépied de l'action publique, rassurent les élus parce que ça fait du chiffre dans les statistiques, mais ne changent strictement rien en terme de pratiques culturelles des Français. Ils montrent comment les moyens et les objectifs ne sont pas les bons. Un exemple révélateur des doctrines du ministère : le premier dimanche du mois gratuit dans les musées nationaux ou des places à 8€ dans les opéras pour les jeunes... n'attirent en fait que ceux qui de toute façon seraient allés au musée ou à l'opéra. Le chèque culture au contraire, mis en place par la région île-de-France, permet d'aider ceux qui n'ont pas de pratiques culturelles a avoir un budget réservé à celles-ci, et de choisir librement leurs pratiques culturelles (spectacle, cours de musique, achat de livre, etc.). Mais cette politique de la demande (laisser les citoyens décider de leurs pratiques culturelles) est totalement étrangère aux doctrines du ministère et de l'administration. Pourtant elle permet d'inscrire des individus dans de véritables pratiques culturelles (plutôt que se réjouir que telle catégorie a visité un musée dans l'année parce qu'on l'y a fortement incité, sans jamais regarder à quoi a servi cette visite et si elle a une chance d'être renouvelée), mais aussi de soutenir toutes les formes de culture. Certains groupes de hip hop de tel quartier urbain n'attendrait peut-être pas en vain l'arrivée d'un ministre jeuniste pour avoir les moyens de rencontrer son public.

     

    Bref ce livre est plein de choses intéressantes, mais à mon avis difficilement réalisable tant ce programme représente une réforme profonde des structures, mais aussi des consciences de l'ensemble de l'appareil culturel public malgré beaucoup d'initiatives, de liberté et d'engagement sur le terrain. L'administration culturelle demeure quand même la plus souple et la plus engagée au service efficace des citoyens, le problème est souvent au-dessus.

     

    Références : La culture quand même !, patrick Bloche, Marc Gauchée et Emmanuel Pierrat, ed. Mille et une nuits, 2002.

     Pour les reproches au livre, attendez le billet suivant, parce que là ça fait déjà long !

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  • On nous a dit que 2007 serait un tournant, une "rupture", déterminant pour l'avenir... Et puis au final on a ressorti les vieux sujets et les vieux drapeaux. Ici, on parle politique culturelle, or cette histoire d'identité nationale comble peut-être le vide des visions et propositions culturelles de nos candidats. Mais elle exprime surtout l'erreur dans laquelle ils semblent vouloir finir de nous diviser.

    Entendez-moi bien, aller reprendre la question de l'identité nationale du placard de l'extrême droite où elle pourrissait, n'est pas une si mauvaise idée. Mais l'identité nationale est une enveloppe vide. L'identité nationale, ça ne veut rien dire en soi. Il y a des identités collectives. Et c'est là que le bas blaisse. Qu'est-ce que la gauche met dans l'enveloppe ? A part un drapeau je veux dire ?

    Nos identités collectives ne se réduisent pas à une identité nationale. Selon le contexte, les enjeux, le moment, nous nous sentons d'une famille, d'un village ou d'une ville, d'un pays, d'une nation, d'un continent, d'une religion, d'un ensemble politique, et de l'humanité. Un pays libre se doit de ne brimer aucune de ces aspirations au vivre ensemble. Or la France a toujours eu une position ambiguë : l'idée de Nation est née chez nous des Lumières et de la Révolution. La Nation - à la différence de la culture - est transcendante, c'est un idéal, une construction de l'esprit, et non le résultat d'une histoire, la production d'un peuple sur un sol. C'est pour ça qu'elle fut longtemps une idée de gauche, antiraciste, universaliste. La Nation découlait du contrat social passé entre des individus libres et déterminés à s'assurer un destin commun.

    Mais, en dépit de cette philosophie, la Nation réelle fut un intrument politique de conquête et de domination, s'effarouchant de toute diversité culturelle. Cette dichotomie originelle a la vie dure et conditionne encore une bonne part de la pensée des élites et de notre conscience collective. La manifeste moderne de cette ligne est certainement le plus célèbre des essais de Finkelkraut, La Défaite de la Pensée, où il reprend toute cette histoire de la lutte entre l'idée-Nation française et l'idée-Kultur allemande.

    Si le livre brille par la généalogie qu'il fait des idées de culture et de nation, il n'en demeure pas moins inspiré par le dégoût de l'ouverture de la politique culturelle depuis 1981 sur la diversité culturelle (le "tout culturel"). En gros Finkelkraut ne supporte pas que les pouvoirs publics, les médias, les élites, prennent fait et cause pour les langues régionales ou le rap, promeuvent la publicité et la mode comme des arts, se fassent l'écho d'une culture gay ou d'une revendication des pieds-noirs à avoir leurs lieux de mémoire.

    C'est dans ces oppositions artificielles (léonard de Vinci contre le graffeur du RER) que se révèle notre blocage collectif qui fait de l'identité nationale une idée dangereuse pour l'avenir de notre vivre ensemble. Considérer que l'un chasse l'autre, que l'identité est "une et indivisible", qu'elle est ou bretonne ou française, ou européenne ou française, ou juive ou française, de la même manière que la culture est ou classique ou relative, non seulement creuse la tombe de la seule idée qui soit à l'origine de notre pays (la nation-contrat) et qui puisse se prévaloir d'un label "identité nationale", mais en outre est un frein à notre liberté.

    La question des langues régionales est emblématique : voilà deux cents ans, depuis que l'abbé Grégoire fit sous la Révolution de l'anéantissement des langues régionales le socle du progrès, que des millions de Français réclament le droit de pouvoir parler, apprendre, diffuser une autre langue française que le Français. Mais le jacobinisme butté a la vie dure. Chaque fois qu'un ministre ou qu'un parlementaire voulut poser la question, il se heurta à une quasi unanimité angoissée de l'éclatement territorial qui résulterait nécessairement de l'exitence légale d'une pluralité linguistique.

    Pensez-vous sérieusement que si les enfants des écoles de Perros-Guirrec ont une partie de leurs cours en breton on cessera un jour de parler Français en Bretagne ? Du coup l'Etat subventionne des écoles confessionnelles mais ne donne pas un sou aux différentes écoles bilingues (Calandreta pour les occitans, Diwan pour les Bretons, etc.).

    Au final, Dominique Voynet et François Bayrou sont les seuls à vouloir une reconnaissance légale des langues minoritaires. Mais nos élites ne se rendent pas compte de l'impasse dans laquelle ils se mettent. Non seulement ils continuent d'opposer Identité nationale et identités collectives de sorte que la majorité se sent exclu de l'identité nationale et se voient obligés de construire d'autres collectivités symboliques pour avoir une place dans la société : ce sont les anticommunautaristes qui créent le communautarisme comme ce sont les racistes qui crent les races. Mais plus concrètement, à vouloir défendre la langue unique contre la pluralité linguistique, nos élites condamnent l'idée même de francophonie dans le monde.


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  • Une initiative à saluer : la télé libre, fondée par une équipe de journaliste souhaitant - enfin ! - utiliser le net pour développer un média vidéo libre. A soutenir ! Ce sont eux qui proposent cette scène incroyable. L'info n'est pas tant la mauvaise plaisanterie de Rachida Dati, madame caution sociale du candidat UMP, que la réaction face à la caméra (alors qu'elle est devant un journaliste presse écrite !).

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  • A l'heure où les nouvelles technologies de l'information et de la communication (bases de données, internet, web 2.0, etc.) font approcher le vieux rêve humaniste de bibliothèque universelle (et universellement accessible !), nos pouvoirs publics se détournent de cette formidable condition du progrès culturel - et donc économique et social - au profit de quelques portes-monnaie à remplir.

    Entendez moi bien, que Florent Pagny vende ses chansons et soit rétribué pour ses création est tout à fait normal, et même nécessaire à l'écosystème créatif (et au Trésor public, car sans ça, le pauvre Florent...). Mais que je n'ai pas le droit de mettre cette reproduction de la Joconde sur mon blog est complètement imbécile.

    C'est ce qu'exposent en un texte commun un groupe d'acteurs de l'histoire de l'art à lire par tous ceux qui souhaitent développer la diffusion de la connaissance et des oeuvres : article ici sur l'excellent site culturel librement accessible La Tribune de l'art

    En gros, la publication d'images du domaine public (tableaux de Léonard de Vinci, photographies de la guerre de 1914, illustration d'un journal de la fin du XIXe siècle, etc.) est illégalement soumise au paiement de droits de plus en plus importants, qui conduit à une impasse : fermeture de sites internet faisant l'éducation artistique ou  historique des internautes, numérisation de revues d'histoire de l'art avec des carrés blancs à la place des images, effondrement des publications en histoire de l'art, faible accessibilité des oeuvres aux chercheurs, amateurs et simples passionnés, etc.

    Les éditeurs libres - qui s'acquittent de ces droits pour leurs publications papier payantes - se sont déjà prononcés ici pour une révision de la récente Loi sur le droit d'auteur dans la société de l'information, inapplicable tant l'arsenal prohibitif est complexe et inadapté à la situation du web, et qui déséquilibre profondément l'écosystème culturel (propriété/diffusion/création). Nous sommes donc entièrement d'accord avec les auteurs de ce texte sur le droit aux images.

    Nous trouvons normal de continuer à payer la Réunion des musées nationaux ou la Bibliothèque nationale de France pour illustrer la couverture d'un de nos livres, mais trouverions tout aussi normal de ne pas payer de droit selon certaines conditions qui tiennent plus au soutien à la production-diffusion des savoirs :

    1/ gratuit pour des oeuvres publiées à des fins pédagogiques, de recherche ou de diffusion des savoirs sans exploitation commerciale (donc sur un site, un blog, etc.)

    2/ gratuit au même titre que le "droit de citation" pour les textes : pour illustrer un texte (essai en histoire de l'art, livre d'histoire, etc.) lorsque le texte est un commentaire direct de l'oeuvre reproduite.

    Ces deux exceptions auraient le mérite de ne pas laisser dans l'illégalité les millions de Français qui publient des images sur internet (il n'est jamais bon dans une société de faire en sorte qu'une majorité soit hors-la-loi) et d'impulser la publication de recherches en histoire de l'art, histoire visuelle, esthétique, etc. dans notre pays.


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