• Diversité nationale

    On nous a dit que 2007 serait un tournant, une "rupture", déterminant pour l'avenir... Et puis au final on a ressorti les vieux sujets et les vieux drapeaux. Ici, on parle politique culturelle, or cette histoire d'identité nationale comble peut-être le vide des visions et propositions culturelles de nos candidats. Mais elle exprime surtout l'erreur dans laquelle ils semblent vouloir finir de nous diviser.

    Entendez-moi bien, aller reprendre la question de l'identité nationale du placard de l'extrême droite où elle pourrissait, n'est pas une si mauvaise idée. Mais l'identité nationale est une enveloppe vide. L'identité nationale, ça ne veut rien dire en soi. Il y a des identités collectives. Et c'est là que le bas blaisse. Qu'est-ce que la gauche met dans l'enveloppe ? A part un drapeau je veux dire ?

    Nos identités collectives ne se réduisent pas à une identité nationale. Selon le contexte, les enjeux, le moment, nous nous sentons d'une famille, d'un village ou d'une ville, d'un pays, d'une nation, d'un continent, d'une religion, d'un ensemble politique, et de l'humanité. Un pays libre se doit de ne brimer aucune de ces aspirations au vivre ensemble. Or la France a toujours eu une position ambiguë : l'idée de Nation est née chez nous des Lumières et de la Révolution. La Nation - à la différence de la culture - est transcendante, c'est un idéal, une construction de l'esprit, et non le résultat d'une histoire, la production d'un peuple sur un sol. C'est pour ça qu'elle fut longtemps une idée de gauche, antiraciste, universaliste. La Nation découlait du contrat social passé entre des individus libres et déterminés à s'assurer un destin commun.

    Mais, en dépit de cette philosophie, la Nation réelle fut un intrument politique de conquête et de domination, s'effarouchant de toute diversité culturelle. Cette dichotomie originelle a la vie dure et conditionne encore une bonne part de la pensée des élites et de notre conscience collective. La manifeste moderne de cette ligne est certainement le plus célèbre des essais de Finkelkraut, La Défaite de la Pensée, où il reprend toute cette histoire de la lutte entre l'idée-Nation française et l'idée-Kultur allemande.

    Si le livre brille par la généalogie qu'il fait des idées de culture et de nation, il n'en demeure pas moins inspiré par le dégoût de l'ouverture de la politique culturelle depuis 1981 sur la diversité culturelle (le "tout culturel"). En gros Finkelkraut ne supporte pas que les pouvoirs publics, les médias, les élites, prennent fait et cause pour les langues régionales ou le rap, promeuvent la publicité et la mode comme des arts, se fassent l'écho d'une culture gay ou d'une revendication des pieds-noirs à avoir leurs lieux de mémoire.

    C'est dans ces oppositions artificielles (léonard de Vinci contre le graffeur du RER) que se révèle notre blocage collectif qui fait de l'identité nationale une idée dangereuse pour l'avenir de notre vivre ensemble. Considérer que l'un chasse l'autre, que l'identité est "une et indivisible", qu'elle est ou bretonne ou française, ou européenne ou française, ou juive ou française, de la même manière que la culture est ou classique ou relative, non seulement creuse la tombe de la seule idée qui soit à l'origine de notre pays (la nation-contrat) et qui puisse se prévaloir d'un label "identité nationale", mais en outre est un frein à notre liberté.

    La question des langues régionales est emblématique : voilà deux cents ans, depuis que l'abbé Grégoire fit sous la Révolution de l'anéantissement des langues régionales le socle du progrès, que des millions de Français réclament le droit de pouvoir parler, apprendre, diffuser une autre langue française que le Français. Mais le jacobinisme butté a la vie dure. Chaque fois qu'un ministre ou qu'un parlementaire voulut poser la question, il se heurta à une quasi unanimité angoissée de l'éclatement territorial qui résulterait nécessairement de l'exitence légale d'une pluralité linguistique.

    Pensez-vous sérieusement que si les enfants des écoles de Perros-Guirrec ont une partie de leurs cours en breton on cessera un jour de parler Français en Bretagne ? Du coup l'Etat subventionne des écoles confessionnelles mais ne donne pas un sou aux différentes écoles bilingues (Calandreta pour les occitans, Diwan pour les Bretons, etc.).

    Au final, Dominique Voynet et François Bayrou sont les seuls à vouloir une reconnaissance légale des langues minoritaires. Mais nos élites ne se rendent pas compte de l'impasse dans laquelle ils se mettent. Non seulement ils continuent d'opposer Identité nationale et identités collectives de sorte que la majorité se sent exclu de l'identité nationale et se voient obligés de construire d'autres collectivités symboliques pour avoir une place dans la société : ce sont les anticommunautaristes qui créent le communautarisme comme ce sont les racistes qui crent les races. Mais plus concrètement, à vouloir défendre la langue unique contre la pluralité linguistique, nos élites condamnent l'idée même de francophonie dans le monde.


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