• L'histoire politique et sociale du peuple américain, monument à restaurer

    Pour étayer un peu ce que j'ai dit dans le billet précédent, considérant Désiré Pasquet comme un pionnier de la nouvelle histoire, un extrait de sa préface, où, au début des années 1920, il prend ses distances avec la façon dont on écrit l'histoire jusque-là.

    Après avoir fait un rapide tour de la production française sur l'histoire des Etats-Unis, il écrit :

    "Sans contester le moins du monde le mérite de ces divers ouvrages, nous avons pensé qu'il y avait place, à côté d'eux, pour une publication d'un caractère un peu différent. La plupart des auteurs que nous venons de citer se sont proposé, avant toute chose, d'écrire l'histoire politique des Etats-Unis, et on ne saurait leur en faire grief, car les événements politiques forment la trame solide de toute histoire nationale. Cependant, de même qu'un lecteur américain se passionnera difficilement pour les luttes des partis en France au temps de Louis-Philippe, il est compréhensible qu'un lecteur européen n'apporte pas à l'étude des transformations du parti républicain, ou à celle de l'élection du Président Polk, toute l'attention que le sujet mérite peut-être. En définitive, a-t-il tout à fait tort ? Plus d'un historien américain, parmi ceux qui croient à l'avenir de la "nouvelle histoire", ne le pensera probablement pas.

    Pas plus que l'histoire de l'Europe ne se compose uniquement de cet imbroglio confus de guerre, d'intrigues diplomatiques, de modifications de frontières, de changements de régime et de chutes de ministères qui plonge dans le désespoir le lecteur d'Outre-Atlantique, celle des Etats-Unis n'est constituée essentiellement par les débats du Congrès et le récit des campagnes présidentielles. Pour un Européen tout au moins, l'intérêt de l'histoire des Etats-Unis est ailleurs.

    C'est la première fois, dans l'histoire du monde, que les hommes ont vu, dans l'espace de quelques générations, apparaître, pour ainsi dire sous leurs yeux, une nation nouvelle. Tandis que les origines des autres peuples se perdent dans l'obscurité des époques anciennes, le développement de celui-ci se produit tout entier au grand jour de l'histoire et, depuis le moment où les premiers coups de hace ont été donnés dans la forêt américaine par les colons de Jamestown et les Pèlerins de Plymouth, nous pouvons le suivre pas à pas, de l'Atlantique au Pacifique. Nous assistons à la conquête du sol, à la progression continue des cabanes de tronc d'arbres qui marquent la "frontière". Aux pistes tracées par les bisons et les Indiens, nous voyons se substituer des routes ; aux canots faits d'écorce de bouleau ou creusés dans un arbre, des bateaux à vapeur ; aux routes succèdent des chemins de fer qui, le moment venu, joindront ensemble les deux Océans. En un siècle, se développe une industrie colossale, qui devient la première du monde. Là où cent ans auparavant on n'apercevait que la forêt vierge, s'élèvent des villes dont la population se compte par millions, et les transformations sociales qui ont été, dans la vieille Europe, la conséquence du capitalisme industriel, se reproduisent, mais avec un rythme accéléré. A la place de cette petite démocratie rurale au sein de laquelle Tocqueville, il y a quatre-vingt-dix ans, constatait encore que les hommes étaient "plus égaux par leur fortune et leur intelligence qu'ils ne le sont dans aucun pays du monde et qu'ils ne l'ont été dans aucun siècle dont l'histoire garde le souvenir", s'est constituée une société où la concentration de la richesse dépasse tout ce qui s'est vu jusqu'à présent et où l'égalité politique elle-même se trouve mise en péril par ces influences que Roosevelt appelait le "gouvernement invisible"".

    L'histoire politique et sociale du peuple américain sera j'espère bientôt disponible dans le catalogue des Editeurs libres .


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