• La culture quand même !

    Photo :  immeuble des bons-enfants, extension du Ministère de la Culture (architecte F. Soler). Comment ne pas y voir l'image d'une forteresse isolée du pays réel ?

     

    Lu un livre déjà un peu vieux (2002), mais toujours d'actualité : La culture quand même ! Pour une politique culturelle contemporaine, qui est une conversation à trois entre Patrick Bloche (fringuant député de Paris qui fut entre autres administrateur de théâtre), Marc Gauchée (directeur des affaires culturelles d'une commune francilienne) et Emmanuel Pierrat (éditeur et avocat people du droit intellectuel).

     

    C'est un récit simple sur la politique culturelle telle qu'elle se fait et telle qu'ils voudraient qu'elle se fasse. C'est un petit livre très digeste qui s'adresse pour une fois aux citoyens (plutôt aux électeurs, on va le voir) et non à l'intelligentsia parisienne qui tient lieu de public culturel officiel ou à l'establishment politico-administratif qui fait chez nous office de ministère de la Culture.

     

    Quelques passages pour vous donner une idée du ton et de l'esprit et quelques infos pour ceux que l'action culturelle publique intéresse sans trop y toucher :

     

    « A continuer ainsi, la France pourrait bientôt être le pays de la culture par seule réputation, comme on garde précieusement de vieilles photos de famille, par souci de la transmission, par une sorte de traité implicite avec l'Histoire, mais sans croire vraiment que cela puisse être déterminant pour l'avenir. C'est pour faire joli, pour décorer, parce que, on a beau être libéral, on n'en est pas moins français. Il ne faut pas déroger à l'image de la France, mère des Arts, mais en fait, tout cela n'a plus aucune réelle importance. Tout le monde s'en fout un peu.

    Comment, avec nos concitoyens, ne pas être indifférent à une politique culturelle qui ne fait irruption dans l'actualité qu'à l'occasion de quelques affaires absconses, de conflits ésotériques et déconnectés de nos centres d'intérêts ? (...) Et la plus grande partie du public, indifférent à ce qui est pourtant censé le concerner, continue de regarder la télévision et les charmants animateurs qui leur racontent la vie des stars. »

     

    Jusque-là, le constat n'est pas nouveau – même si le style est joli. Mais ce bouquin touche à des choses originales :

     

    1/ D'abord il parle beaucoup des bibliothèques et des politiques du livre et de la lecture, dont les ambitions ont été abandonnées malgré l'élan donné à partir de 1981 par Lang et son directeur du livre, resté sans vrai descendance, Jean Gattégno. Je ferai prochainement un petit billet sur Gattégno et sa politique parce qu'elle mérite d'être connue et réhabilitée (c'est à peu près la seule politique culturelle qui a donné de vrais résultats en terme de démocratisation). Le problème du livre, c'est que les médias et les cadres culturels du ministère, ont tendance à penser que c'est un support en voie de disparition, désaffecté par les jeunes générations. Si ce cliché a la vie dure, dans les faits les nouvelles générations lisent au moins autant qu'avant (certes ils ne lisent pas massivement Dumas et la comtesse de Ségur). Pour les bibliothèques, le principal souci, alors que les 3 auteurs remarquent qu'il s'agit des seuls équipements publics qui touchent territorialement et socialement l'ensemble des Français, les seuls équipements qui répondent vraiment à un service public de la culture (liberté des usages, gratuité ou presque, diversité de l'offre de collections et de services), mais pour un ministre, ça n'est pas médiatique, à moins de monopoliser des budgets qui manquent sur le terrain, pour des grands projets très coûteux qui en terme de retour sur investissement sont somme toute limité : les dirigeants de la BNF font-ils vraiment le meilleur usage de leurs 150 millions de budget annuel (hors personnel !) ? La déclaration de guerre de Chirac-Jeanneney à Google a-t-il à un moment ou un autre pris en compte les besoins réels des Français en terme d'information, de documentation ou de littérature ?

     

    2/ Autre point très positif de ce livre-programme, auquel j'ai déjà consacré quelques billets : une politique culturelle des nouvelles technologies. « Comment peut-on encore vouer a priori, comme on l'entend parfois, la télévision, l'internet, les CD-Roms et les DVD aux gémonies sous le prétexte d'un décervelage organisé. La chance que ces supports et ces techniques représentent pour l'accès à la culture est formidable. C'est leur économie, conçue sur des bases toujours plus libérales, qui doit nous inquiéter et sur laquelle nous devons agir. Il faut alors avoir les capacités de l'imagination pour résister. »

     

    3/ Sur l'accès à la culture ils rejettent les pleureuses de l'échec de la démocratisation (et rien que pour ça, ça en fait déjà un texte à part sur la politique culturelle française). Ils montrent que la question des tarifs (gratuité pour certaines catégories ou certains jours), des événements (journées du patrimoine, lire en fête, etc.), de la communication (faire venir au théâtre ou au musée à coup de slogans publicitaires), trépied de l'action publique, rassurent les élus parce que ça fait du chiffre dans les statistiques, mais ne changent strictement rien en terme de pratiques culturelles des Français. Ils montrent comment les moyens et les objectifs ne sont pas les bons. Un exemple révélateur des doctrines du ministère : le premier dimanche du mois gratuit dans les musées nationaux ou des places à 8€ dans les opéras pour les jeunes... n'attirent en fait que ceux qui de toute façon seraient allés au musée ou à l'opéra. Le chèque culture au contraire, mis en place par la région île-de-France, permet d'aider ceux qui n'ont pas de pratiques culturelles a avoir un budget réservé à celles-ci, et de choisir librement leurs pratiques culturelles (spectacle, cours de musique, achat de livre, etc.). Mais cette politique de la demande (laisser les citoyens décider de leurs pratiques culturelles) est totalement étrangère aux doctrines du ministère et de l'administration. Pourtant elle permet d'inscrire des individus dans de véritables pratiques culturelles (plutôt que se réjouir que telle catégorie a visité un musée dans l'année parce qu'on l'y a fortement incité, sans jamais regarder à quoi a servi cette visite et si elle a une chance d'être renouvelée), mais aussi de soutenir toutes les formes de culture. Certains groupes de hip hop de tel quartier urbain n'attendrait peut-être pas en vain l'arrivée d'un ministre jeuniste pour avoir les moyens de rencontrer son public.

     

    Bref ce livre est plein de choses intéressantes, mais à mon avis difficilement réalisable tant ce programme représente une réforme profonde des structures, mais aussi des consciences de l'ensemble de l'appareil culturel public malgré beaucoup d'initiatives, de liberté et d'engagement sur le terrain. L'administration culturelle demeure quand même la plus souple et la plus engagée au service efficace des citoyens, le problème est souvent au-dessus.

     

    Références : La culture quand même !, patrick Bloche, Marc Gauchée et Emmanuel Pierrat, ed. Mille et une nuits, 2002.

     Pour les reproches au livre, attendez le billet suivant, parce que là ça fait déjà long !

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