• Michel Rocard, on le sait assez peu, est bon historien. Je me rappelle avoir écouté ses conférences à l'Université de tous les savoirs sur le service public et ses missions en France, où il commençait également par une leçon d'histoire : le service public naît en France des siècles avant les autres pays européens sous la volonté unificatrice du roi de France (au sortir de la guerre de Cent ans, Louis XI donne naissance à l'Etat moderne en créant notamment la poste).

    En ces temps où l'identité nationale convoque l'histoire pour peser dans la balance électorale, il est bon de rappeler que notre histoire commune nous détermine moins par ses mythes et légendes qui changent de contenu selon les besoins du moment (sait-on que Jeanne d'Arc fut de gauche au XIXe siècle avant d'être d'extrême-droite ?), que par les caractères qu'elle imprime à nos représentations collectives dans le temps long.

    C'est ce que nous montre Michel Rocard, dans un papier du Nouvel Obs (n° 2212 du 29 mars au 4 avril 2007 "La mondialisation et nous", débat entre M. Rocard et P. Lamy) en un magistral condensé d'histoire de France :

    "Cette absence de culture économique rejoint le fait que la France se définit comme un pays non commerçant. Historiquement, nous sommes un pays d'agriculteurs, de juristes, de spécialistes du territoire, le seul pays d'Europe venu à l'économie marchande après le haut Moyen-âge par voie de terre, tous les autres de faisant par voie d'eau. La voie de terre nécessite de paver les routes et des forces de l'ordre pour en assurer la sécurité. Tout au long de notre histoire, nous avons renforcé l'Etat central, ajouté des policiers, crée un corps d'ingénieurs (le corps des Ponts et Chaussées date de Philippe le Bel) habitué à faire des infrastructures, quoi qu'il en coûte. La France est le seul grand pays d'Europe qui ne se soit pas constitué autour d'une communauté linguistique créée quand l'Etat a eu besoin d'échanges diplomatiques pour accompagner l'essor de son commerce. Notre Etat naît avant même l'invention de l'imprimerie (c'est le seul en Europe) et consuiert le territoire en massacrant six cultures : Bretagne, Alsace, Occitanie, Pays basque, Flandre et Corse. Donc l'Etat est omniprésent et le commerce n'a jamais trouvé sa place dans les mentalités collectives." (p. 16-17)

    Les conférences de Michel Rocard sur le service public et ses missions (incontournables !) sont achetables ici ou consultables gratuitement à la BPI (Centre Pompidou), pour les Parisiens et certainement dans beaucoup de bibliothèques en région (sinon, dites à votre bibliothécaire de les commander !)


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  • La loi DADVSI (droit d'auteur et droits voisins dans le société de l'information) = en gros, c'est ce qui réglemente d'un côté les droits de tout créateur (texte, photo, base de donnée, film, musique, etc.) et de l'autre la diffusion des idées et des oeuvres.

     

    Tout commence en 2001 par une directive européenne : l'Union européenne n'ayant alors ni projet politique formalisé, encore moins de projet culturel, l'harmonisation du droit d'auteur est donc faite dans un seul but marchand et économique (marché commun, favoriser les investissements, protége les industries culturelles, etc.). La France, toujours très enthousiaste et courageuse quandil s'agit de construction européenne, attend 2006 pour transposer la directive dans le droit national (5 ans ! alors même que l'Union européenne rouvre le chantier et planche sur une nouvelle directive).

     La commission et le parlement européen avaient toutefois laissé des portes ouvertes aux différents Etats pour qu'ils conservent des spécificités liées à la circulation des idées et des oeuvres, à la liberté de création, etc. Il s'agissait de maintenir un équilibre fragile et sans cesse en péril depuis le XVe siècle (apparition de l'imprimerie et donc des interédiaires industriels et commerçants entre le créateur et son public) entre la juste rémunération des auteurs (mais on le dit moins souvent, la confortable rentabilité des investisseurs et producteurs culturels) et la circulation des biens culturels.

    La directive européenne prévoyait donc des "exceptions" : le nouveau droit interdidait des pratiques, obligeait des accords et des rémunérations systématiques, sauf dans certains cas qui tenaient à la diffusion des idées, la démocratisation du savoir, l'accès de tous aux oeuvres de l'art et de l'esprit, etc.

    C'est-là que ça a bien patiné du côté français : d'un côté des producteurs culturels devenues industries multinationales aux intérêts économiques énormes, de l'autre des idéologues et militants pour une diffusion la plus libre possible des productions culturelles (enseignants, cadres de l'administration culturelle, bibliothécaires, militants de l'informatique libre, etc.). Entre eux, les députés et sénateurs.

    Au coeur de cette bataille historique - et qui, nous l'espérons, n'est pas finie - une représentation des nouvelles technologies (peer-to-peer, internet, etc.) : soit on considère (parfois à juste titre) que c'est un danger pour la production culturelle, soit on considère que c'est une chance inouïe pour l'accomplissement du vieux rêve de démocratisation-démocratie culturelle.

    Il y a eu dans cette bataille un vériotable coup de théâtre : la majorité UMP de l'Assemblée nationale s'est révélée plus libre que prévu par rapport au gouvernement qui imposait une vision du texte centrée sur l'ajout de rémunérations aux intermédiaires et la pénalisation des pratiques libertaire de l'internet. Ayant écouté plus que de coutume les différents acteurs du débat (associations d'internautes, associations de professionnels de la culture, etc.), ils en arrivèrent à voter "l'impensable" : le principe d'une licence globale. Idéologiquement, c'est être du côté des "libertaires", mais pragmatiquement, c'était aller chercher la rémunération des oeuvres là où se trouvait le paiement du ticket d'entrée (les fournisseurs d'accès). 

    En gros, c'était une véritable révolution : aurait été créé un système de diffusion et partage légal des oeuvres (musique, films, textes, etc.) sans nul autre pareil dans l'histoire.

    Un certain ministre de l'Intérieur, proche de grands groupes d'industries culturelles classiques, mit de l'ordre dans tout ça (et surtout de l'ordre parmi ces députés irresponsables) et la loi DADVSI fut adoptée dans une forme qui ne répond pas aux pratiques actuelles (le téléchargement illégal continue de croître sans responsabiliser les usagers ni trouver des sources de rémunération légitime aux créateurs) et déséquilibre un système de droit d'auteur à la française qui était relativement simple, et qui devient une véritable usine à gaz dans laquelle plus personne ne comprend rien.

    Du côté des "exceptions" permises par la "pourtant pas très gauchiste" Union européenne, les députés et sénateurs français es ont réduites à la portion congrue. En gros, pour continuer à diffuser le savoir ou la création, quand on est une bibliothèque, une association, ou un simple particulier, il faut payer plus qu'avant (sans contrepartie).

    On a tout simplement raté une occasion historique de développer la diffusion culturelle, et par là la création, l'innovation. Mais on a surtout raté l'occasion d'établir un système juste et réaliste, de raccrocher le vieil équilibre propriété-diffusion intellectuelle à la situation actuelle boulerversée par les révolutions technologiques.

    La loi crée un nouvel organisme, une Haute autorité de régulation pour les mesures techniques de protection (DRM) au moment où la création d'un grand service public de l'Internet, cette bibliothèque d'un genre entièrement nouveau que Mitterrand appelait de ses voeux en 1988 (et qui donnait la gigantesque bibliothèque d'un genre entièrement traditionnel qui porte son nom), un nouveau souffle pour l'action culturelle, artistique et pédagogique publique, aurait sans doute, toujours selon des mots présidentiels, fait que la France étonnât encore le monde.


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  • Et voilà, c'est reparti, comme chaque année les vaches partent et les livres arrivent Porte de Versailles. Nos 11 (12 ?) candidats à la présidentielle vont-ils, après les agriculteurs, les chasseurs et les chefs d'entreprise, venir rendre une petite visite de courtoisie à nos amis éditeurs ? Ca peut être en tout cas pour certains une bonne opportunité pour élargir leurs lectures (Victor Hugo et Fred Vargas auraient-ils du souci à sa faire ?).

    Nous, nous n'y serons malheureusement pas. Enfin, si, mais comme vous, dans la foule. Nous sommes encore trop jeune, et dans le livre, il n'y a apparemment que la maturité qui compte. Ici, point de saltimbanque, de festival off et autre stand économie solidaire. Ceci dit, c'est quand même l'occasion de voir des éditeurs (des vrais) et des auteurs (des vrais aussi). Pour ça, il faut éviter les grosses machines type Gall***, Hach*** ou Le S***. Sinon, mieux vaut aller à la FNAC, jusque dans la déco c'est pareil. Et puis c'est les mêmes piles de bouquins que ceux qui inondent tout l'année nos têtes... de gondoles.

    Mais sorti des gros machins, on ne peut qu'être surpris de la vitalité et du foisonnement des éditeurs en France (dans la famille exception culturelle, c'est la grand-mère). Et là, on en revient immaquablement à nos candidats : on a bien compris que les conseillers spéciaux et autres sondeurs ont réglé la question de la Culture dans la campagne présidentielle. Et si on ne l'avait pas compris, le récent dossier de Télérama sur les propositions culturelles des différents candidats (et leurs goûts personnels : d'où la pique sur Hugo-Vargas, que je ne vais pas développer parce qu'on ne tire pas sur une ambulance) a eu le mérite de clore définitivement la question.

    Alors il ne s'agit pas de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant "la culture ! la culture ! la culture !" (pour filer la métaphore présidentielle) : la Culture est dans notre pays bien dotée, qu'on se le dise ! 1 % du budget de l'Etat pour le ministère en proportion c'est pas beaucoup mais en chiffre, ça va quand même chercher dans les 10 milliards. Mais surtout les collectivités territoriales ajoutent une part énorme à cette action. Nombreuses sont désormais les villes qui consacrent près d'un quart de leurs dépenses à la culture. Donc plus d'argent ne changerait pas forcément la donne.

    Le problème c'est aujourd'hui de savoir ce qu'on appelle politique culturelle. Et si l'on suit toujours le fameux dossier de Télérama et la définition qu'en donne chaque candidat, c'est à la fois pas grand-chose et un peu tout. Puisque je pastichais de Gaulle il y a à peine un paragraphe, je rappelerai une de ses célèbres formules incantatoires. Annonçant la création d'un ministère pour les affaires culturelles (il n'y en avait pas avant lui), avec ses grand bras, son vieux pardessus rapé et sa dégaine de super-dupont, il imposait, sans autre forme d'explication : "la culture domine tout". La messe était dite. Depuis, l'action de l'Etat en matière de Culture a tenté des ajustements : "tout domine dans la culture", "toute la culture domine", "Culture, vos beaux yeux d'amour mourrir me font", "la culture c'est comme le cochon, tout est bon", furent les grands axes de notre "exception nationale" (laquelle exception aucun ministre ou président la défendant n'a jamais su la définir).

    Il y a quand même quelques vrais enjeux. Le financement du cinéma ou le système de l'intermittence, au point que leur mobilisation fait toujours figure de mobilisation pour le maintien de l'action culturelle en général. En dehors de ça, on rénove les musées, on achète des oeuvres, on nettoie des monuments... Et les livres dans tout ça ?

    Il en va en fait des livres comme de la PAC (tiens, voici revenir le Salon de l'agriculture). Il y a bien un système de redistribution, à coup de subvention du Centre national du Livre, mais il profite surtout aux maisons qui n'en ont pas besoin (l'équivalent des gros céréaliers). A côté, le bon livre du terroir, bien bio, bon pour la santé et qui ne dégrade pas l'environnement (au sens strict du terme : il serait intéressant d'étudier l'impact sur l'environnement des centaines de milliers d'exemplaires de confessions de people qui paraissent chaque année en France : des centaines d'hectare d'Amazonie ?).

    Il y a des livres utiles, pour le progrès de la connaissance, la démocratisation du savoir, l'épanouissement de chacun, la liberté de l'information, la richesse du débat social, et aussi ceux qui nous font voyager, rêver, frissonner, très utiles quand on doit passer deux heures par jour dans un train de banlieue, ou qu'on n'a pas sommeil. Et puis il y a les autres livres.

    Le Salon du livre, c'est la seule occasion de s'en faire une idée (même si les tout petit comme nous n'y sommes pas encore). C'est surtout l'occasion de réaliser que l'offre d'une grande enseigne n'est pas la même que celle du libraire du coin de la rue, qui n'est pas la même que celle du libraire de l'autre côté de la rue, etc.

    Et puis ce serait bien que pour les candidats à la présidentielle qui passeront par là, de voir que tous les livres ne se valent pas. Et puis s'ils en arrivaient à se poser la question fatidique : à quoi peut servir un livre ? alors, les propositions ne manqueraient pas de pleuvoir. Et pour tous les tenants de la rupture plus ou moins tranquille - ils sont nombreux dans le cru 2007 - peut-être imagineraient-ils une France qui change... en lisant.

     


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